DANSER canal historique | Interview

Biennale du Val-de-Marne: Christian Ubl à propos de « STIL »

Propos recueillis par Thomas Hahn

Christian Ubl: En effet, je me suis inspiré de la Sécession Viennoise et des préoccupations de ces artistes, comme l’opposition entre le privé et le public ou les limites entre l’art et la pornographie, ce qui était un sujet très important pour Schiele. Dans ses tableaux, beaucoup de choses s’expriment à travers le regard des personnages, et par la déformation des corps qui est présente chez Klimt et Schiele qui était un élève de Klimt. Mais Schiele travaillait plus sur la solitude. On trouve des poses similaires chez les deux que Schiele amène plus vers l’abstraction. J’ai grandi avec l’univers de ces deux peintres. Le corps est très présent chez eux, dans des postures à la fois humaines et très exagérées, qui rejoignent la danse.

DCH : De quelle manière trouve-t-on Klimt et Schiele dans STIL?

Ubl : Il s’agissait pour moi de créer un objet artistique, pas de représenter des tableaux. Je veux interroger le regard actuel sur le corps et les limites qui lui sont imposés aujourd’hui. Quelle est aujourd’hui l’acceptation de la nudité sur un plateau de théâtre ? J’ai l’impression que les esprits se referment et que nous sommes aujourd’hui confrontés aux mêmes questions qu’il y a vingt ans. Nous venons de donner les premières représentations à Marseille et le public a été fortement divisé entre le pour et le contre.
DCH : La Sécession Viennoise fait partie de ces mouvements artistiques contestataires qui sont par la suite muséifiés et intégrés dans le récit officiel de l’histoire de l’art, en les vidant de la rébellion qu’ils portaient.

Ubl : La Sécession a commencé par un manifeste ! Les artistes ont été obligés de créer leur propre lieu pour pouvoir exposer. Ils n’avaient pas accès aux circuits officiels. Je rappelle que Schiele, qui refusait de se conformer aux normes officielles de son temps, a fait de la prison pour outrage à la morale publique ! La censure peut aller jusqu’au contrôle des désirs intimes. Il est vrai que chez Schiele, on peut entrevoir des phantasmes érotiques dans des situations à deux ou à trois.

DCH : Avec STIL, voulez-vous relancer un mouvement sulfureux dans la danse contemporaine, qui ne dérange plus grand monde, sauf le Front National?

Ubl : J’ai fait moi-même l’expérience de la difficulté à proposer une œuvre qui s’attaque à des codes de plus en plus contraignants. Nous n’avons pas pu tourner notre pièce Shake it out, à cause d’une séquence où les danseurs sont nus, emballés de drapeaux. Je me demande si l’artiste est encore libre, aujourd’hui.

Il y a de moins en moins de chorégraphes prêts à aller à des endroits qui laissent perplexe, où ça pique un peu aux yeux. Une œuvre d’art est pourtant faite pour interroger les tabous et susciter des débats. Ceci dit, mon but n’est pas une provocation gratuite parce que je veux que les pièces soient accessibles à un public aussi large que possible. Si les artistes se regardent entre eux, à quoi ça sert ? Je ne voulais pas non plus revenir directement sur mon expérience autour de Shake it out, mais porter le débat à une échelle plus universelle.

DCH: Comment organisez-vous STIL autour des univers de Klimt et Schiele ? Est-ce une pièce en deux tableaux ou est-ce que les deux se croisent ?

Ubl : J’ai pris plus de choses chez Schiele que chez Klimt. Klimt plutôt pour la forme et Schiele plus pour le fond. Par exemple, nous jouons sur la façon de Klimt de cacher partiellement ses personnages. Il y a des tableaux plutôt rouges qui abordent le contrôle des désirs ou nous mettons en valeur le groupe, parce que ces images seraient difficiles à porter par des solistes. Nous avons créé des sous-vêtements dans le style de ce qui se porte aujourd’hui dans le monde de la nuit, pour être en phase avec l’époque actuelle. Mais on commence par une évocation de Klimt et de Loïe Fuller, la seule chorégraphe qui dialoguait avec le Jugendstil.

DCH : En effet, vous évoquez Fuller comme si elle avait été peinte par Klimt…

Ubl : C’est ça, peut-être. Je me réfère à elle parce que je la trouve très courageuse à se produire seule en scène dans un cabaret à Paris pour défendre sa démarche artistique, tout comme les sécessionnistes ont défendu leur démarche en créant leur propre espace d’exposition, avec des écrivains et des architectes, pour réfléchir aux possibilités d’approcher l’art et la vie au quotidien.