KLAP KLAP de Christian Ubl : bravo
Entre eux et nous, ce fut un bel échange. Musclé, sincère, créatif et pour tout dire ressourçant. Eux, c’est le chorégraphe Christian Ubl, la danseuse Marion Mangin et le musicien Fabrice Cattalano, interprètes de « Klap ! Klap ! ». Nous, c’est le public, assis dans la salle du 3bisF, lieu d’art contemporain de l’hôpital psychiatrique d’Aix en Provence. Une heure pour interroger le sens des applaudissements, ce bruit qui résonne pour chacun d’entre nous, cette arme de destruction massive et passive, ce geste d’amour, cet acte politique.
Entre nous, il y a tant à dire! D’autant plus que nous avons changé. Nous ne sommes plus ce public uniforme et docile dont certains programmateurs rêvent encore. Entre sphère réelle et internet, notre identité est multiple, nos attentes et nos désirs naviguent en permanence entre besoin de divertissement sécurisé (« ne pas se prendre la tête ») et recherche de sens (« sortir du quotidien »). Quant aux artistes, ils ne cessent d’interroger leur art, de s’ouvrir, d’introspecter de nouveaux champs pour créer de nouvelles formes. Jamais une profession n’a autant évolué que celle-là, où la relation avec le public est un centre de «gravité »
« Klap ! Klap ! » est donc une œuvre qui questionne notre lien avec les artistes, avec humour, créativité, délicatesse et profondeur. Pour cela, Christian Ubl pose un cadre contenant, jamais disqualifiant, qui autorise la parole, sans masque et avec respect. L’outil vidéo, subtilement utilisé, est ce miroir réfléchissant, cette glace sans tain, cet espace introspectif. Le son des applaudissements se fond dans une musique assourdissante, qui met en tension cette relation d’habitude si « molle », si convenue. Les corps dansés traduisent la nature de cette interaction où le bruit de nos mains nourrit le déséquilibre, la prise de pouvoir, la manipulation de l’artiste, devenu un jouet le temps d’un salut final. Et l’on rit de voir cette relation aussi fade, quand viennent les applaudissements, au moment où notre époque développe des formes de communication de plus en plus circulaires.
Christian Ubl interroge, expurge sa peur, met en scène le sens de l’hystérie de ces applaudissements; il inclut le public dans le « jeu », lui signifie la signification de ses postures (même les plus passives dans un gradin !). Il nous interpelle sur la fonction de ces battements de mains qui deviennent, comme le statut de l’artiste, « objet » de convoitise d’une société qui place le divertissement bien au dessus de l’art (il suffit pour s’en convaincre d’observer l’attitude des spectateurs dans « Le grand journal » de Canal Plus où le corps n’est qu’une machine à ovationner au service d’une vision marchande de la culture, d’une approche descendante de la démocratie).
À mesure que « Klap ! Klap ! » avance, nous voilà donc liés, eux et nous, pour redonner une dimension nouvelle à ce geste, pour le complexifier, l’inclure dans une posture politique (quitte à enfiler des gants en latex et se protéger des propositions artistiques salissantes !). Avec Christian Ubl, applaudir devient un beau geste chorégraphique.
C’est un générique de cinéma qui clôt ce spectacle percutant. À mesure que défilent les noms, un entre-deux se met en place, un espace où le spectateur prend le temps de réfléchir sur le sens qu’il va donner à ses applaudissements. Et je me surprends à battre mes mains autrement, à leur faire jouer une musique différente, tout en me questionnant sur ce geste paradoxal dans le contexte de « Klap ! Klap ! ».
Mes mains n’expulsent plus, elles incluent.
Avec Christian Ubl, le spectateur est un artiste en devenir.
Pascal Bély
UBL : sous vos applaudissements!
Ubl ose. Et pose des questions, qui ouvrent, béantes, troublent. En sautant sans précautions aux conclusions: saluts, applaudissements. Le grand moment de rencontre, l’offrande obligée, le pic d’émotion. Sauf qu’ici hors contexte. Evidé du contenu: sans rien avant. Alors, que valent ces gestes encore? Les causes de la relation perdues, le phénomène nu, que voit-on ? Il y a t il encore une rencontre? Est-ce nous – les spectateurs – projetés en image de synthèse, réduits aux postures, aux gestes mécaniques des applaudissements. Est-ce eux les artistes, qui n’offrent plus qu’eux-mêmes? Réduits aux seuls saluts, à leur soif de reconnaissance, éperdue. Ivres de cette émotion et fragiles à se briser. La situation se décline, jouée, dansée, en nuances, du factice au paroxysme. Compris les efforts attendus du chauffeur de salle aux accroches éculées, là une démonstration d’une triste normalité. Tout s’emballe sans complaisances jusqu’au vacarme qui assourdit le sens. La répétition accélérée jusqu’à l’épuisement, l’artiste s’affaisse. Que reste-t-il, de ce qui se passe entre nous et eux ? Nous sommes déchargés de la mission d’applaudir nous-mêmes les artistes tournés vers d’autres publics aux quatre coins de la scène. Nous considérons ces publics virtuels, renvoyés à une réflexion sur notre propre fonction de spectateurs. Sans réponses proposées: il n’y a d’autres commentaires que ceux dans les gestes et les mots de circonstances. Avec ironie et connivence. La performance est réduite jusqu’à l’os. Décapée, le résultat est décapant. Avec un goût amer, provoquant. Salutaire ?
À Micadances, avec Faits d’hivers.
Dimanche 25 janvier 2009 Guy Degorges