« La Semeuse », requiem déconstruit pour amour fini
La chorégraphie de Christian Ubl unit les langages des mots et des corps. À l’origine, il y a une nouvelle de Fabrice Melquiot dans laquelle il joue avec les formes stylistiques et typographiques pour s’interroger sur la fin d’un amour, l’ensevelissement en soi et aux autres, et les chemins que prend la survie.
À l’origine aussi, il y a le désir d’un artiste de faire se rencontrer, s’interroger, se répondre et se confronter, différentes expressions scéniques. Le matériau, fourni par La semeuse – déjà mis en forme par l’auteur de façon à ce que le sens trouve un écho dans l’appréhension physique de l’écriture – se prêtait incontestablement à cette recherche pour lier, le langage des mots à celui des corps, pour que la chorégraphie ne soit plus seulement une paraphrase mais une partie intégrante de l’acte narratif. Christian Ubl, dans sa volonté revendiquée d’assembler des énergies venues d’univers artistiques différents, a écouté la petite musique de cette femme qui sème aux quatre vents les poèmes de celui qui l’a quittée pour parvenir à le semer, lui, pour parvenir à se débarrasser du goût de l’autre, pour déconstruire son empreinte afin de se reconstruire ; il lui a donné en priorité le théâtre, les mots de l’autre qui le font revivre et dans lequel elle se noie. Céline Romand est comédienne, mais elle sait donner « corps » à sa voix bien au-delà du jeu de scène : elle entre en danse comme si, de ces mouvements qu’elle dessine, elle donnait à cette femme toutes ses facettes, sa lutté, son errance, sa farouche soif de vie, de retrouver un souffle.
Christian Ubl est un peu moins « présent » mais en apparence seulement, comme s’il s’inscrivait, lui, en demi-teintes, en souvenirs, comme s’il était l’incarnation de ces poèmes et d’un corps perdus qui, de loin en loin, ressurgissent et hantent la mémoire. En jouant sur le ralenti, sur le tourbillon qui évoque les abysses, il impose la puissance envahissante du passé. C’est certainement cette force évocatrice, sulfureuse parfois, sensuelle toujours qui rend un peu superflues les évocations, certes souriantes, des hommes qui seraient des « pansements » pour l’âme de l’abandonnée.
Reste l’utilisation de la vidéo ; particulièrement intelligente, et les déflagrations du son, issu de multiples sources, qui soutiennent les différents niveaux sensibles du texte.
Et il y a Umberto Tozzi qui, à lui seul, est comme le voyage, entre sépia et couleurs, qui conduit d’un rêve d’amour à l’autre…
Michèle TADDEI, La Provence, 15 avril 2011