Retours sur l’expérience vécue au col du Coq avec le projet in situ WAOUHHHHH !
Durant les douze parcours effectués, nous avons pu guider des personnes si différentes les unes des autres que chaque parcours a inventé sa propre identité, son propre rythme et sa propre énergie, comme en réponse à l’exploration proposée par les artistes. Une liberté et richesse assez exceptionnelles, tout en partage !
Parfois les disparités au sein du groupe ont fait ressortir des notions sous-jacentes aux consignes physiques données, comme par exemple : le vivre-ensemble, l’individu face à la communauté, le regard sur l’autre, le regard sur son environnement, sa place et la place de l’autre.
L’imprévisible et l’adaptable ont été les maîtres-mots de cette journée tout au long des différents parcours, que ce soit pour les artistes ou pour les participants.
Les expériences vécues ont marqué nos esprits et notre corps. L’équipe de WAOUHHHHH était enthousiaste en sortant de cette étonnante journée, bien que, nous pouvons maintenant vous l’avouer, ce fut un véritable marathon et challenge pour nous !
Ce chemin entamé et cette expérience étaient à la fois rare et précieux pour nous les artistes. Elle nous a montré nos propres limites (concentration, maîtrise, endurance sur trois parcours), elle nous a affirmé nos appréhensions (la maîtrise du temps de chaque parcours face à un groupe hétérogène, responsabilité envers les personnes plus âgées et plus en difficulté pour le deuxième parcours), elle nous a dévoilé nos doutes (effort à fournir pour les personnes moins entrainées, terrain glissant et descente de la pente à la tombée de la nuit, garder confiance et sérénité et éveiller et transmettre cette confiance à l’autre), elle nous a affirmé nos convictions (réouvrir le regard et toucher le sensible en proposant aux gens une autre pratique de la marche qui laisse libre cours au vagabondage de l’esprit et à la contemplation par moment tout en gardant une ligne directrice et en s’ intégrant dans un groupe), mais elle nous a également permis d’être à l’écoute de notre corps, leur corps et de nos intuitions, tout en remettant en jeu notre capacité à unir tout en respectant les différences et individualités de chacun.
Est-ce qu’avoir une meilleure conscience de son propre corps – en tant que moyen d’expression global et vecteur de communication à autrui –
changera notre rapport au monde ?
changera notre marche ?
changera notre regard ?
changera notre sensibilité ?
changera notre écoute et nos actes ?
changera notre place, aujourd’hui pour demain ?
Une marche artistique et sensible comme socle humain et universel pour toucher le sensible enfoui en nous ?
Une mise en abîme de nos propres sensations ?
la marche comme vecteur et accès à la concentration la marche comme une méditation ou introspection personnelle la marche comme la mobilité du corps la marche comme des pieds intelligents et confiants la marche pour nous fabriquer de l’énergie et créer un lien à autrui la marche comme un rythme commun et personnel la marche comme pensée mobile, évolutive, sans frontières et limites la marche comme une respiration profonde la marche comme une expérience et un dépassement de soi la marche pour se rapprocher de la nature la marche pour se fondre dans la nature la marche pour redécouvrir la nature la marche pour devenir mouvement la marche comme une danse la marche comme acte trivial et universel.
2 & 4 octobre 2015 – les parcours
Pour ces parcours nous avons pu mettre en place et en action toute une panoplie de valeurs pédagogiques sous forme d’exercices corporels ludiques – consignes à la fois techniques et physiques – en rapport à la nature, du groupe et de soi-même :
nous dansons un rituel contemporain,
nous nous sommes isolés à l’aide de notre casque,
nous écoutons nos pas et une voix,
nous nous concentrons,
nous observons notre respiration,
nous sentons l’air sur la peau,
nous avons conscience des parties couvertes et découvertes du corps
nous marchons individuellement pourtant en groupe, à l’écoute de notre voisin,
nous ralentissons volontairement
nous nous arrêterons pour écouter les bruits de la nature
nous observons notre marche et notre transfert du poids
nous remplaçons nos yeux par les pieds pour scruter le sol
nous observons nos hanches et leur mouvement
nous écoutons notre cage thoracique
nous pensons à autre chose, rien à voir, notre esprit vagabonde
nous marchons sans effort
nous marchons autrement
nous projetons notre regard loin devant
nous scannons l’espace et observons chaque détail de la nature
nous constatons une diversité riche en couleurs, textures, reliefs.
nous nous arrêtons un court moment, le soleil réchauffe notre visage
nous (re)chargeons nos batteries naturelles,
nous nous dirigeons d’un point à un autre à l’aide du regard pour monter la pente,
nous marchons sur place, près de l’arbre
nous sommes essoufflés,
nous tournons autour de notre propre axe, nos yeux ouverts puis fermés,
nous imprimons une photo panoramique sur la rétine,
nous sommes libres pour continuer notre chemin vers le haut,
nous sommes engagés dans un mouvement individuel et pourtant en groupe.
nous sommes posés au bord d’un chemin contemplant le panorama du col du coq,
nous dessinons avec notre nez, notre menton, notre joue, notre front, notre épaule, nos yeux,
nous écoutons un extrait de texte d’un livre face à la vue panoramique,
éloge de la marche de David Lebreton
Qu’importe en effet l’issue du chemin quand seul compte le chemin parcouru. On ne fait pas un voyage, le voyage nous fait et nous défait, il nous invente. Et si nous arrivons ici au terme de l’écriture, le dernier mot n’est qu’une étape le long du chemin. La page blanche est toujours un seuil. Heureusement nous repartirons en balades dans les villes du monde, les forêts, les montagnes, les déserts, pour d’autres provisions d’images et de sensorialités, découvrir d’autres lieux et d’autres visages, chercher prétexte à écrire, renouveler notre regard, sans jamais oublier que la terre est faite pour les pieds plutôt que pour les pneus et que tant que nous avons un corps il convient de s’en servir. La terre est ronde et en en faisant tranquillement le tour on se retrouve un jour à son point de départ, déjà prêt pour un autre voyage. Autant de routes, autant de chemins, autant de villages, de villes, de collines, de bois, de montagnes, de mer, autant de parcours pour les joindre, les sentir, les guetter, étreindre notre mémoire dans la jubilation d’être venu là. Les sentiers, la terre, le sable, les bords de mer, même la boue ou les rochers, sont à la mesure du corps et du frémissement d’exister
Quelle chance de nous avoir permis d’inventer ce projet au Col du Coq – espace sensible et naturel – pour expérimenter et vivre ces parcours de la pensée et du corps au plus près de la nature mais aussi au plus près du public.
Ce rapport rare et direct à autrui, au plus proche du vivant et du sensible, sans diversion ni mise à distance, a permis d’établir entre les gens une relation pétillante et inattendue.
nous nous renversons entièrement
nous regardons le monde à l’envers
nous buvons
nous marchons à nouveau d’un pas changé
nous regardons le sol comme une maquette – vu d’un avion
nous rêvons
nous explorons
nous imagions
nous inventons
nous rions
nous marchons en file indienne
nous faisons corps par le corps
nous marchons dans le pas de l’autre
nous sommes un grand corps
nous sommes ensemble
nous épousons une pierre
nous écoutons l’écho qui s’échappe
nous aérons nos orteils
nous découvrons le contact avec le sol pies nus
nous sommes à l’écoute des sensations nouvelles ou oubliées
nous guidons notre partenaire et nous sommes guidés
nous dansons un slow seul, à deux, à trois, en groupe
nous roulons dans l’herbe
nous retrouvons notre respiration, elle a changé
nous sommes en déséquilibre
nous suivons notre expiration pour aller au bout du mouvement
nous sommes devenus un élan, une course
nous sommes connectés en groupe
nous marchons ensemble
nous sommes un seul corps étrange
nous sommes grands, petits, serrés, larges, biscornus, emboités
nous sommes en confiance
nous sommes une forme abstraite
nous sommes le souvenir d’un contact
nous écoutons un deuxième extrait de texte du livre
– éloge de la marche de David Lebreton
La marche est ouverture au monde. Elle rétablit l’homme dans le sentiment heureux de son existence. Elle plonge dans une forme active de méditations sollicitant une pleine sensorialité. On en revient parfois changé, plus enclin à jouir du temps qu se coumettre à l’urgnece emps qugéson existance. Elle plonge dans une forme active de méditations solicatant une pleine sensort’à se soumettre à l’urgence prévalant dans nos existences contemporaines. Marcher, est vivre par corps, provisoirement ou durablement. Le recours à la forêt, aux routes ou aux sentiers, ne nous exempte pas de nos responsabilités croissantes envers les désordres du monde, mais il permet de reprendre son souffle, d’affûter ses sens de renouveler sa curiosité. La marche est souvent un détour pour se ressembler soi. Roland Barthes pointait déjà dans les années 50, que marcher est peut-être mythologiquement le geste le plus triviale donc le plus humain.
nous marchons en silence vers la musique et notre point de départ
nous écoutons la flûte
nous faisons une dernière halte et rêvons
nous regardons la danse des coqs
… ..en ces temps difficiles et perturbés, plus que jamais, tout acte artistique hors espace scénique devient vital permettant ainsi d’interroger le monde dans lequel nous vivons et évoluons ensemble, hors enjeux politiques et sociétaux. WAOUHHHHH ! est une utopie éphémère en mouvement, une parenthèse offerte au sensible, un moment où le mouvement, la danse et la mobilité sont au cœur de notre action quotidienne, politique et citoyenne en harmonie avec notre environnement. C’est une expérience universelle, accessible et ouverte à tous. Ce lieu, ce moment passé ensemble devient un lieu et un temps d’émancipation, de liberté, ouvert à la différence. C’est ainsi que nous ferons société. Inondons notre planète avec la chaleur des corps marchant et les cœurs battants.
La danse, la marche comme unique drapeau !
Corporel, entier, charnel, déterminé, à l’écoute de son environnement et à autrui conservant une pensée unique par individu, vouée à son histoire labyrinthique et individuelle.
Aujourd’hui, l’état d’urgence – état chargé – nous fait trembler, perdre la sensation du sensible. Nous devons rester des êtres qui chantent, qui dansent, qui crient, qui aiment, qui marchent, qui écoutent, qui soutiennent leur voisin. Nous dépasserons nos propres limites ou barrières, comme nous l’avons fait lors du parcours pour certains.
Nous déplacerons nos frontières mentales et corporelles, celles de l’entendement, de la surprise, de la nécessité, de la curiosité et de la découverte pour toucher au sensible. La nature comme source d’énergie, ressource indéniablement importante, précieuse et nécessaire pour continuer…
Décembre 2015 Christian UBL
(…) il faut continuer, je ne peux pas continuer, il faut continuer, je vais donc continuer, il faut dire des mots, tant qu’il y en a, il faut les dire, jusqu’à ce qu’ils me trouvent, jusqu’à ce qu’ils me disent, étrange peine, étrange faute, il faut continuer, c’est peut-être déjà fait, ils m’ont peut-être déjà dit, ils m’ont peut-être porté jusqu’au seuil de mon histoire, devant la porte qui s’ouvre sur mon histoire, ça m’étonnerait, si elle s’ouvre, ça va être moi, ça va être le silence, là où je suis, je ne sais pas, je ne le saurai jamais, dans le silence on ne sait pas, il faut continuer, je ne peux pas continuer, je vais continuer.
Samuel Beckett, L’innommable, Les éditions de Minuit, 1953