ANIMA : Non mais genre, quoi !
Posted By Dieter Loquen on 24/10/2022
Avec sa nouvelle création chorégraphique, Christian Ubl se saisit de la question ô combien d’actualité chez nos générations Z et Alpha : la confiance en soi, l’affirmation de soi. ANIMA, qui lorgne avec malice du côté de la culture nippone, loin du manifeste politique ou communautaire, interroge la notion de genre et les non-binarités homme-femme. Interview de son créateur.
ANIMA fait partie de votre cycle qui interroge la transformation identitaire et fait suite à La Cinquième saison. En quoi ANIMA fait-il écho à votre précédente création de 2021 ?
Il fait écho à la question de l’ordre et du désordre par rapport à la mémoire collective, ce qui est masculin ou féminin et quelle incarnation dansée est lisible sur les corps des interprètes. Dans les deux volets, ce sont l’inversion du monde ou la frontière trouble d’un cadre établi ou binaire qui m’intéressait. Dans l’un le carême et le carnaval et dans l’autre le binaire versus le non-binaire. Il y a aussi d’autres points communs : la musique live et le chant présents dans les deux volets, l’espace scénique traité de façon très graphique, mais dans une opposition complémentaire, blanc dans La Cinquième saison et noir dans Anima. Les costumes tranchés et en évolution sont un autre écho au traitement. Le corps est musical et physique et les masques sont présents dans les deux opus.
ANIMA est une pièce jeune public. La seconde que vous signez après H&G tiré du conte Hansel and Gretel des frères Grimm. Ici, la thématique est bien plus contemporaine. Elle prêterait même à la polémique. Quelles recherches avez-vous opérées pour cette pièce ?
Pour commencer, chacun (les interprètes et moi-même) a apporté ses livres de référence, des récits et des témoignages trouvés sur la toile, mais aussi partagé des récits et des témoignages très personnels liés à nos parcours. Nous avons collecté des gestes et des énergies masculin(e)s ou féminin(e)s et les avons confrontés au corps et sa capacité à les incarner. Je voulais créer un minirépertoire de nos gestes performatifs genrés. Comment le corps a appris à les incarner et comment nous utilisons ce langage.
Et comment incarner au plateau ce « cheminement parfois confus et complexe d’un adolescent qui découvre sa singularité », cette nouvelle ère qu’engagent les générations Millennial, Z et Alpha ?
Cette nouvelle génération est forcément influencée par les avancées technologiques et leur présence dans la vie de tous les jours (ordinateur, jeux vidéo, espace métaverse, la création de son propre avatar…). Pour ANIMA nous nous sommes rapprochés de l’idée d’inventer un avatar gender fluide. En piochant dans l’univers manga, nous avons créé des personnages de fiction avec des identités gender fluides et souligné ainsi le propos. ANIMA s’adresse à la jeunesse pour créer un échange par la danse et voir comment ils abordent les codes binaires, mais aussi la liberté qu’ils prennent avec ces mêmes codes.
On imagine tout un travail de médiation à venir auprès des jeunes publics et scolaires. Quelle en sera sa teneur ? Avez-vous d’ailleurs rencontré cette jeune génération en amont de la pièce pour apprendre d’eux ?
Effectivement, le travail de médiation est essentiel. Au départ, nous avons eu l’ambition, dans le cadre de ma résidence au 2PEC à la ville d’Istres, d’associer des classes de collèges. Les périodes des répétitions étaient posées entre novembre et avril 22 ; avec les restrictions dues au Covid le projet photo et danse « confiance en soi » n‘a jamais pu démarrer.
Photos par Nicolas Martinez
Finalement, nous avons dû modifier notre approche, en réalisant au sein de l’équipe un questionnaire que nous avons proposé à des adolescents de notre entourage (cercle d’amis, connaissance) ; il nous a permis de récolter des réponses ou des impressions. Nous avons réalisé un dossier pédagogique complet, puis réfléchi aux structures qui pourraient se saisir de l’opportunité de sensibilisation, car c’est bien sa propre place dans la société et le traitement des différences qu’il s’agit de questionner à travers ANIMA.
ANIMA se veut polymorphe dans ses contenu, écriture et influence. Une influence est pourtant plus prégnante que d’autres : la culture nippone. En quoi vous a-t-elle inspirée ?
Une première étape de recherche devait se faire au Japon, mais avec la période Covid, cette projection s‘est, elle aussi, éloignée au fur et à mesure. Au lieu de cela, nous avons fouillé sur internet pour trouver des références ou articles qui pourraient enrichir notre travail. La question du masque et du maquillage japonais, déjà présente dans le premier volet de ce diptyque, sont des matières que je voulais creuser. Nous nous sommes inspirés des maquillages du kabuki pour fabriquer des masques réalisés par Fabrice Cattalano avec un stylo 3D. Le mot « kabuki » proviendrait du verbe « kabuku », qui peut signifier « agir bizarrement ». Le trouble et le décalage dans leur représentation du genre, mais aussi la question de la norme ou le cadre par rapport aux images attendues ou préconçues.
La partition musicale est signée Fabrice Cattalano avec qui vous effectuez un joli compagnonnage depuis 2006. Comment a-t-il pensé la musique d’ANIMA (qui fait la part belle aussi au chant avec l’artiste lyrique Mathieu Jedrazak) ?
En amont, pour l’inspiration, il a écouté des génériques manga, des chansons pour les enfants qui parlent du genre et des différences. Il a constitué une bibliothèque de matières sonores : des sons plutôt féminins et d’autres masculins d’après les codes de la société. Ensuite, il a lu des témoignages sur la question du genre. Ce qui lui a inspiré la chanson pop Cravate et maquillage chantée au plateau avec Mathieu. Avec Mathieu Jedrazak, nous avons travaillé sur la partition de Oh solitude d’Henri Purcell avec une version chantée et une version instrumentale électronique. Puis la partition musicale s’est construite avec la partition chorégraphique. Nous sommes passés par beaucoup de discussions et d’improvisations au début, jusqu’à la partition finale.
Votre démarche artistique nommé » Le monde du corps et le corps du monde » interroge les » identités & origines » et se conçoit en écho aux réalités multiples et complexes du monde d’aujourd’hui et à ses problématiques, mutations massives et constantes. Est-ce à dire qu’après ANIMA, vous proposerez un autre tome à votre cycle sur la transformation identitaire ?
Le prochain terrain de recherche est axé sur l’effet papillon et la transformation d’une décision ou d’un objectif par répercussion ou conséquence. L’identité de l’idée première est donc modifiée et devient une nouvelle identité, une trajectoire différente, un écho, une réaction en chaîne…